Tous-les-hommes-desirent-naturellement-savoir

J’aime le toucher du papier, j’aime sentir les feuilles, caresser les paroles avant de tourner la page. Un livre que l’on veut ouvrir et lire est comme un amant que l’on désire et auquel nous réclamons son regard. Un livre nous appartient tant que les paroles écrites glissent sur sa peau en papier, sous nos yeux de lecteurs avides. On respire ses histoires comme on recherche le parfum littéraire particulier d’un écrivain qui est capable de nous séduire dans son silence et son histoire vécue ou imaginée.

C’est bien vrai que j’adore entrer dans les librairies, feuilleter les nouveaux romans, en sortir avec deux ou trois acquis dans mon sac à dos et commencer à lire dans un parc ou un café. Cependant j’attendais tellement le nouveau roman de Nina Bouraoui « Tous les hommes désirent naturellement savoir » après avoir été ébloui par ses « Beaux Rivages » cela fait deux ans que la seule façon d’assouvir cette passion passait par un achat à l’avance sur amazon afin que hier la version kindle se décharge à minuit exactement sur mon iPad.

J’ai commencé à le lire et, comme il m’arrive souvent quand un écrivain dont je connais la prose m’énivre, je l’ai fini dans la journée. Je n’ai pas pu le lâcher pendant mes trajets au bureau, dans le métro, en me promenant et finalement dans le café d’un parc à l’ombre des arbres protecteurs.

J’y suis rentré comme dans le brouillard d’autrui, dans l’océan immense des années d’une fille, d’une adolescente, d’une femme incapable de se voir à ses 18 ans tout en se regardant, le doute qui nous sied quand on se sent différent, quand la peur nous rend des étrangers face aux autres, quand elle fait de nous des étrangers de nous-mêmes, anéantis par les doutes, les peurs et par les certitudes qui nous composent, quand on ne veut pas voir notre image dans le miroir.

« J’assemble tout ce que je sais de ma famille comme j’assemblerais les morceaux d’un objet brisé pour le recomposer ».

C’est justement ce roman qui ramasse non seulement tout ce que l’écrivain sait de sa famille, mais surtout ce qu’elle sait d’elle-même en convoquant les images, les souvenirs, les arômes d’un passé qui revient justement en morceaux. « Se souvenir, Devenir, Savoir, Être. »

L’art moderniste à Barcelone parle de « trencadis » pour définir ces mosaïques composées de petits morceaux de tuiles vernissées. C’est justement ce que je ressens comme lecteur. Une expérience littéraire vitale et aussi proche dans certains passages construits avec ces morceaux de tuiles vernissées pleines des couleurs, parfois éclatantes de lumière, parfois sombres de violence, de peur et de négation, parfois abruptes, comme le sont les moments du souvenir convoqué.

Les années vont et reviennent, comme les vagues à l’aube sur le sable de notre propre plage. On se voit, on se sent, on a besoin de sentir la peau d’autrui dans laquelle se reconnaître. La sexualité peut être violente quand elle est prisonière d’un désir urgent, inassouvi et l’amour réclame toujours ses preuves. Ce sont l’équilibre et la distance qui veulent retrouver ce vase, qui décident de le casser en morceaux d’enfance, de jeunesse, d’adolescence et d’âge adulte où malgré l’endurance acquise par les évènements ce sont ceux qui nous permettent voir et recomposer l’autre côté du miroir, celui qui ne projette pas notre image extérieure parce qu’il continue à être le refuge de l’enfant que nous sommes et que la vie adulte cache.

Et c’est justement l’art du romancier celui qui commence à coller soigneusement par la force de l’évocation, le rythme et la poésie tous ces morceaux pour achever la reconstruction du vase brisé, un vase dont ce roman témoigne et qui projette les correspondances de ces années 70, 80 et 90.  La transition d’une enfance lumineuse à une adolescence vécue en secret. « L’être différent condamné au secret, à la honte » comme écrit l’auteur. Et d’une obscurité qui surgit dans un pays qui était un paradis de lumière et qui voyait retrouver la peur et la violence.

C’est l’équilibre, même avec les doutes, les regrets, celui qui nous permet de faire face à la vie, la propre, celle qui nous appartient et celle que l’on veut partager avec les autres.

Assumer qui nous sommes réclame du temps, parfois, exige le courage que nous croyons ne pas avoir, et accepter que le reflet de notre image qui se forme dans notre océan intérieur correspond bien à celui qui on est. C’est bien la seule façon d’être honnête avec nous-mêmes, avec les autres et, sans doute, ce qui en réalité nous laisse connaître le vrai sens du mot liberté.

Tel est le bel vase de vie de Nina Bouraoui. Un vase plein de couleurs qui cache entre les soudures du temps passé un chemin particulier qui est, certainement, un chemin où beaucoup pourront s’y reconnaître, avec ses tristesses et ses joies, ses découvertes et ses secrets.

Comme les morceaux de vie qui nous composent, tous.

nina

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